Le jour où on a voulu tuer Thélème
Réflexions sur un retour à l’eugénisme intellectuel

Il y a longtemps que j’ai écrit un billet. Très longtemps même! La dernière fois, c’était en mai 2008.

Mais, au cours des dernières semaines, j’ai été témoin de déclarations intempestives relatives à l’éducation, certaines faites en public, d’autres faites en privé.

Ces propos m’ont incité à relancer la moulinette.

Je suis indigné !

Je suis indigné par le sabotage à répétition !

Je souhaite, à travers ce billet, agir en tant que mémoire et en même temps en tant que témoin et acteur engagé du Renouveau pédagogique.

Brève rétrospective

À la fin des années quatre-vingt-dix, au Québec, nos dirigeants politiques ont cru, et à raison, que le temps était venu de renouveler l’école. Il fallait donc créer un lieu pour que des citoyens impliqués puissent manifester leurs insatisfactions face à l’état du système de l’éducation de l’époque et aussi s’exprimer sur ce qui devrait être fait pour répondre aux exigences d’une société émergente. Bref, dire ce qui devrait être fait pour que l’école puisse répondre aux défis du XXIe siècle.

Pour mieux cerner la problématique, les élus d’alors ont tenu des États généraux sur l’éducation. Une série de forums publics ont été organisés un peu partout au Québec. Tous les intéressés par la question : parents, enseignants, cadres scolaires, chercheurs universitaires, hommes et femmes d’affaires sont venus exprimer leurs questionnements et leurs insatisfactions à l’égard du système scolaire existant et aussi exprimer leurs opinions sur ce qui devait être pris en considération pour bâtir une école renouvelée, une école qui corresponde aux exigences du début du nouveau millénaire.

L’un des constats des États généraux fut que le modèle Taylor , qui caractérise la société industrielle ainsi que les changements mis en place par le rapport Parent, qui avait défini notre système éducatif, étaient rendus obsolètes. Pour affronter les défis à venir, il fallait que les jeunes apprennent à penser, à être créateurs, à développer un esprit critique, à être débrouillards… Il devenait urgent de les sortir de la chaîne de montage de la transmission de savoirs sans lendemain.

Certains universitaires ont fourni un cadre théorique qui s’appuyait sur des recherches fondamentales en sciences cognitives. D’autres chercheurs qui possédaient une grande expertise dans l’approche socioconstructiviste ont pu démontrer que des pratiques qui mettent plus l’accent sur des apprentissages expérientiels que sur la transmission de contenus permettent aux élèves d’intégrer leurs savoirs au lieu de les oublier peu de temps après les avoir acquis.

Donc, le cognitivisme et le socioconstructivisme ont servi de fondement à la vision humaniste qui allait être proposée dans le nouveau Programme de formation de l’école québécoise.

Comme l’avait si bien énoncé François Rabelais Montaigne au XVIe siècle, il vaut mieux, somme toute, d’avoir une tête bien faite qu’une tête bien pleine.

Voilà ce qui constituait les prémices d’un renouveau pédagogique.

Ça commence, c’est parti !

Des équipes de personnes mandatées par le Ministère de l’Éducation ont donc tenté de relever un immense défi : celui de restaurer notre système scolaire en tenant compte de la didactique, de la pédagogie, de la prospective sociale, des recherches universitaires et des pratiques des enseignants.

Très vite, les médias, certains universitaires d’une autre époque ainsi que tous les « beaux-frères-mal-renseignés-qui-ont-une-opinion-et-qui-détiennent-la-vérité-absolue-sur-tout » ainsi que tous ceux qui se masquent sous l’anonymat ont voulu envoyer au bûcher les personnes œuvrant aux nouveaux programmes, ne se gênant pas pour les traiter de fonctionnaires de l’État, insinuant qu’ils étaient coupés de toute réalité, enfermés dans leurs tours d’ivoire alors que RIEN n’était plus faux.

Nos programmes ont été conçus par des gens de terrain (enseignants et conseillers pédagogiques), associés à des gens de réflexion (des chercheurs), et dans le cas des différentes disciplines au programme, par des experts (des didacticiens). Ces gens, j’en ai côtoyé plusieurs, et tous ceux que j’ai rencontrés étaient des professionnels convaincus, dévoués et engagés.

Tout au long de l’écriture, ils ont dû se présenter devant différents comités, composés par des experts et des enseignants pour justifier leur vision et ensuite ajuster leurs propos.

La démarche a donc été solidement structurée et encadrée.

Mais, à ce jour, l’impression persiste que ceux qui ont rédigé le programme sont des fonctionnaires isolés du vrai monde, coupés de la réalité et le mépris est encore grand.

Des mots qui sont rapidement devenus des maux

Quand le programme du primaire est arrivé, tout de suite, on a pu remarquer que, pour la première fois dans l’histoire de l’éducation au Québec, on avait établi de nombreux liens, non seulement entre les différentes disciplines, mais aussi avec des compétences transversales et cinq domaines généraux de formation. Le Programme de formation de l’école québécoise formerait dorénavant un tout, un tout cohérent.

Malheureusement, dès le départ, le langage utilisé a créé un malaise et ce malaise présentait un obstacle majeur à l’implantation du Renouveau.

La terminologie utilisée, bien que précise et fondée, était hermétique, lourde, indigeste et difficile à comprendre. Ce niveau de langage a vite fait peur et en a découragé plus d’un.

Ceci fut rapidement récupéré par la presse parlée et écrite et, en un clin d’œil, les termes utilisés dans le Programme furent ridiculisés par certains commentateurs dont la vision de l’éducation était fondée sur leur propre scolarisation (datant littéralement d’un autre siècle) et leur perception encyclopédique du savoir.

Les termes furent caricaturés puis dénaturés, ils ont vite été envoyés au pilori et traités impitoyablement sur la place publique. Cette tactique que certains pourraient qualifier réactionnaire, créa rapidement une méfiance chez les parents et aussi un grand inconfort chez plusieurs enseignants.

Mais, avait-on lu le Programme de formation avant de se lancer, de le remettre en question, avant de le démolir ? Avait-on vraiment cherché à le comprendre ? Pour certains opposants de la première heure, la réponse est oui. Mais ceci fut, semble-t-il , fait dans une perspective de n’y voir que les lacunes et de défendre le statu quo. Dans de nombreux autres cas, si je me fie aux propos lus et entendus, je serais tenté de croire que le programme n’avait tout simplement pas été lu.

Les indignés, en déchirant leur chemise sur la place publique, exprimaient peurs et impressions, guidés par leurs préjugés et par leur façon de donner aux mots un sens qu’ils n’ont pas. Au nom de la liberté d’expression, on nous a fait avaler du « n’importe quoi ». Tous les opposants au projet naissant s’en sont donné à cœur joie.

Il faut aussi constater que, à une époque de concentration et de convergence des médias, la controverse et la polémique se vendent beaucoup mieux que l’information recherchée et réfléchie ! Tant et aussi longtemps que tirage et cote d’écoute mèneront les médias, il sera très difficile d’avoir des reportages et des analyses empreints d’équité.

Pendant toutes ces attaques, les personnes responsables des programmes ne pouvaient défendre leur point de vue, se trouvant coincées dans un espace de silence, liées par le devoir de réserve que leur impose leur fonction et qu’exigent d’eux les dirigeants politiques.

À ce jour, malgré quelques tentatives, les efforts ont été trop timides pour expliquer la terminologie utilisée et les idées avancées par Programme de formation, pour en dédramatiser les contenus. Cela a joué en faveur de tous ceux qui voulaient d’ores et déjà un programme qui resterait collé sur l’ancien modèle éducatif.

Élève, savoir, connaissances et compétences

Les élèves apprennent-ils quelque chose lorsqu’ils développent des compétences ?

Acquièrent-ils des connaissances ?

Si on se fie à l’opinion populaire (je devrais plutôt dire populiste), soutenue par les ténors de l’enseignement explicite, la réponse est NON. Même que, poussé à l’extrême, le développement de compétences serait une perte de temps qui empêcherait les apprenants d’acquérir des connaissances, de bien apprendre.

Que de sottises !

Depuis le début, le Renouveau a été contesté. Il a été contesté de différentes façons, à différents degrés, dans différents contextes. Tous les prétextes étaient permis pour ne pas ouvrir ses portes au changement de paradigme proposé : les classes surchargées, la résistance aux changements, les pressions syndicales… Tous ces facteurs ont contribué, d’une façon ou d’une autre à en ralentir l’application. Les détracteurs du Renouveau, ces serres-freins dans une pente ascendante, n’en ont jamais manqué une pour empêcher le processus de se rendre à maturité. De tout bord tout côté on entendait « ça ne fonctionne pas », on nous proposait des rapports de performance sur nos élèves alors que les élèves évalués n’étaient même pas encore passés par le Renouveau. Avant même que la machine ne soit véritablement en marche, on jugeait que c’était un échec !

Au lieu de trouver des solutions aux problèmes, on a préféré garder l’accent sur ces derniers et s’acharner à « démoniser » le Renouveau.

Cependant, si l’on regarde dans les classes où le Renouveau est appliqué avec soin et avec discernement, on constate tout le contraire. On retrouve dans ces lieux des élèves allumés, engagés et impliqués dans leurs apprentissages. Ces élèves-là, ces enseignants et enseignantes-là on les voit trop rarement, mais ils EXISTENT. J’en ai vu et entendu plusieurs et j’ai pu constater les effets bénéfiques de leurs pratiques.

Pourquoi n’a-t-on à ce jour surtout parlé que du négatif ? Pourquoi n’a-t-on pas aussi parlé des réussites, de ces classes où le Renouveau fonctionne ? Ça reste encore un mystère pour moi.

Puisque les médias n’assurent pas la couverture médiatique nécessaire pour le faire, pour faire connaître ces enseignants et ces élèves qui vivent un renouveau harmonieux, c’est à tous ceux qui adhèrent au Renouveau que revient la responsabilité de leur assurer la meilleure visibilité possible.

L’élève vaut combien ?

Comment déterminer si un élève apprend ?

Au Québec, à ce jour, pour des raisons sociétales sans doute, on a préféré mettre l’accent sur la mesure de la performance chiffrée des élèves et on a toujours jugé qu’il était nécessaire de les comparer entre eux. Est-ce la meilleure façon d’évaluer pour permettre à un élève de progresser dans ses apprentissages ? J’en doute !

Comment alors avoir une évaluation efficace ? Comment renseigner les parents pour qu’ils aient un portrait éclairant de leur enfant ?

Avec le Renouveau, il était prévu que l’évaluation se fasse en cours d’apprentissage pour juger de la progression des élèves et que, tous les deux ans, il y ait un bilan des apprentissages pour que ces renseignements soient consignés dans un bulletin.

Mais, évaluation en cours d’apprentissage et bulletin se sont rapidement retrouvés sur une voie de collision.

Avec l’arrivée des bulletins descriptifs, les parents ne comprenaient pas, et ce, très souvent à raison, ce qu’on voulait leur apprendre sur leur enfant.

Au lieu d’expliquer cette forme d’évaluation, de la rendre plus accessible et acceptable pour les parents, nous nous sommes enlisés, laissant place aux propos caricaturaux qui ont fait les manchettes et qui ont créé une psychose sociale autour de l’évaluation.

Pour remédier aux inconforts, au lieu de rectifier le tir de l’évaluation, nos dirigeants ont préféré calmer l’opinion populaire en revenant à une forme archaïque de l’évaluation.

Nous sommes passés d’un bulletin axé sur les apprentissages à un bulletin axé sur les performances, d’un bulletin descriptif à un bulletin sommatif. Nous sommes partis d’un bulletin où il était possible de dire à un élève et à ses parents qu’il devrait « faire plus attention à ses participes passés pendant la prochaine étape s’il voulait progresser en français » à un bulletin qui « informait » le parent que son enfant valait 84, 66 ou 54 % en français… créant chez les principaux intéressés une gamme de perceptions allant de « je suis bon/mon enfant performe », à « je suis poche/il n’est pas bon » ,et implicitement, dans le dernier cas, trop souvent à un « je ne m’en sortirai jamais/ l’école n’en fait pas assez pour mon enfant ».

On l’aura vite constaté, cette façon de voir l’évaluation conduit irrémédiablement au trisocial, un tri sauvage et sans merci. Nous sommes passés d’une progression de l’apprenant à une mesure discriminante de ses performances.

En bout de piste, les enseignants n’évaluent plus pour permettre aux jeunes de progresser, mais sont revenus à une évaluation qui leur permet d’inscrire des notes dans un bulletin.

Deux visions de l’apprentissage…

Si on résume la situation, depuis 15 ans, il y a deux camps qui s’affrontent.

Dans le premier, il y a les conservateurs. Certains nostalgiques, d’autres passéistes, presque tous habités par une vision classique de l’école et des élèves.

Pour eux, le système est bien sous sa forme actuelle. Les contenus et les approches sont bons, ce sont les élèves qui ont changé, ce sont eux qui SONT le problème… au cours des ans, ils sont devenus irrespectueux, paresseux, démotivés.

Paradoxalement, dans ce camp, les enseignants sont persuadés que les parents considèrent l’école comme une garderie et les parents sont convaincus que les enseignants n’imposent pas assez leur autorité et qu’ils n’enseignent pas de façon convenable.  C’est une pratique d’enseignement qui est pour la plupart du temps hors contexte. Trop d’élèves subissent (drop-in) ou finissent par fuir (drop-out) le savoir qu’on cherche à leur imposer.

Dans le second camp, il y a les humanistes. Ceux-ci constatent eux aussi que les élèves ont changé, mais ils sont convaincus que les centres d’intérêt des jeunes sont à prendre en considération pour qu’ils s’engagent dans leurs apprentissages.

La vision humaniste favorise la convergence de la culture populaire (celle de l’élève) et de la culture savante (celle transmise par l’école). Les enseignants qui adhèrent à cette vision sont des médiateurs engagés qui tantôt transmettent des connaissances, qui tantôt accompagnent l’élève pour qu’il intègre ses savoirs, afin qu’il puisse s’en servir dans d’autres tâches, dans d’autres contextes. C’est une pratique d’enseignement en contexte.

L’idée de trouver des boucs émissaires est revenue à la mode chez nous. Elle est alimentée par des propos peu éclairés à partir d’une vision très partiale et sélective des faits, et diffusée par des médias trop complaisants qui ont le doigt très rapide sur la gâchette d’une rhétorique accusatrice et incendiaire.

Bien que ces comportements soient navrants, il faut éviter de se transformer en victimes. Il est préférable d’adopter une posture de résilience, il faut continuer à affirmer ses idées.

Il faut aussi, et c’est important, donner de la visibilité aux élèves, aux enseignants et aux parents qui sont les témoins vivants de la pertinence du Renouveau pédagogique et qui sont fermement engagés à mettre l’école à l’heure du XXIe siècle. C’est essentiel !

Continuer à vivre dans l’esprit du Renouveau, en être des témoins vivants, c’est la grâce et le courage que je nous souhaite.

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