Je suis las

La médisance irrite les hommes et ne les corrige pas.
Nicolas Machiavel


Je suis las de voir des gens commenter les larmes du premier ministre du Canada. Pour moi, c’est une réaction futile.

J’ai plutôt le goût de centrer mon attention sur toutes les promesses électorales qu’un gouvernement laisse vite tomber après une victoire. Je milite pour que les gouvernements soient  tenus de respecter leurs engagements, peu importe le niveau de gouvernance.

Je suis las de voir des débats sur le sens du mot «patrimoine». Je suis tout aussi las de voir l’indignation suscitée par un «Bonjour/Hi» pour accueillir des clients dans l’ouest de Montréal. À mon avis, c’est, dans le premier cas, nier le sens collectif donné à un mot et, dans l’autre, c’est refuser de comprendre la réalité d’une métropole. Je suis persuadé que ce n’est pas la façon de rendre une langue et une culture fortes.

Pour garder le français en vie, je préfère me sentir respecté en tant que client en faisant en sorte que les échanges et les transactions se poursuivent dans ma langue si je réponds «Bonjour!» au lieu de «Hi!». J’aime me sentir responsable de la vitalité de mon héritage culturel et  de ma langue en soutenant les arts littéraires et les arts  de la scène qui montrent toute la force et toute la beauté de la langue que j’utilise. J’essaie aussi de participer à un discours articulé sur la place publique et d’encourager à utiliser un verbe riche dans les conversations en  privé, même avec mes petits-fils de 4 et de 6 ans.

Je suis las des silences de nos gouvernements face à des injustices flagrantes qu’il s’agisse d’abus de pouvoir en Espagne, en Arabie saoudite, au Myanmar ou en terre palestinienne.

J’ai hâte de voir ceux qui nous gouvernent prendre toutes les mesures nécessaires pour le respect des droits humains. J’ai hâte de les voir dénoncer systématiquement les persécutions. J’ai le goût qu’ils agissent avec vigueur pour s’assurer que les peuples soient respectés et libres de déterminer leur sort collectif. J’ai également très hâte de voir les gens reconnaître que certains gouvernements peuvent avoir l’apparence d’une gouvernance démocratique alors que ce n’est pas le cas et, à l’inverse que dans certains coins du monde où il y a des régimes plus fermés aux libertés assurées par la démocratie que même les plus petits pas, les plus petits gains comptent pour tendre vers une gouvernance plus humaine et moins autoritaire.

Je suis las de voir des gens prêter des intentions à des individus en fonction de leur tenue vestimentaire ou de leur pilosité faciale.

Je suis partisan du droit de chacun à s’habiller  et à couvrir sa tête comme il l’entend. J’ai encore le souvenir de l’Expo 67 alors que, adolescent, je découvrais avec grand plaisir tout ce monde venu d’ailleurs, toute cette beauté différente de la nôtre, autant dans les traits du visage que dans l’habillement aux couleurs étonnantes et à ampleur variable. Tous ces gens venus d’un autre pays qui sont maintenant des gens d’ici, des gens de chez nous.

Je suis las de voir la gauche vilipendée avec un discours simpliste, tenu à grands coups d’amalgames douteux. En même temps, j’en ai assez du refus de la gauche radicale de voir que ses actions d’éclat ne font que renforcer la droite radicale.

Je pense qu’il est important d’exercer un devoir de mémoire, de nous rappeler à quoi mènent les excès des régimes totalitaires et des idées révolutionnaires. Ces régimes extrêmes finissent toujours par se rejoindre quelque part. Je pense ici aux abus commis lors du coup d’état au Chili le 11 septembre 1973  et aux excès sanguinaires des Khmers rouges au Cambodge entre 1975 et 1979, ce Kampuchea démocratique qui n’avait  de démocratique que le nom.

Je suis las de voir les intellectuels caractérisés comme étant des gens inutiles qui ne sont pas en contact avec la réalité et qui ne sont pas productifs pour la société. Les réduire ainsi, c’est nier l’influence des scientifques et de leurs recherches, des philosophes qui gardent vive la capacité de s’interroger. Les artistes qui ont un regard percutant et provocateur qui nous force à réfléchir sur nos valeurs et sur notre société.

Je suis las de voir les gens croire le discours néo-libéral qui parvient encore à vendre l’idée que d‘en donner encore plus aux plus riches va assurer un ruissellement sur les moins fortunés.

Du même coup, je suis las de voir les travailleurs se faire pénaliser continuellement par des coupures au profit des primes de départ de dirigeants d’entreprises déjà fortunés qui ne font que rêver de s’évader au paradis fiscal.

J’ai hâte de voir toutes ces manifestations de capitalisme sauvage remplacées par un retour à la social-démocratie telle que l’envisageait René Lévesque . J’ai hâte que les chefs d’entreprises et les commerçants reprennent contact  avec la notion de bon citoyen corporatif.

Enfin, je dois avouer que je commence à en avoir assez de la rectitude dans tout. Du même coup, pour faire écho à Machiavel,  je ne pense pas que le cynisme à outrance et le mépris fassent avancer les choses.

Dans une douzaine de jours, je vais souhaiter Joyeux Noël à certains et Joyeuses Fêtes à d’autres. Pour moi, qu’il s’agisse de Noël ou de Pâques, de Hanukkah ou de Eid al-Fitr, je crois que lorsqu’un peuple manifeste de la joie, ça devrait être encouragé et non remis en question ou stigmatisé.

Et, la prochaine fois qu’un vendeur ou une vendeuse m’accueillera avec sourire et un «Bonjour/Hi», je lui répondrai avec un «Bonjour, vous allez bien ?». Je suis certain que le reste de nos échanges se fera en français.

 Addendum 17 12 08  http://renard.effetdesurprise.qc.ca/videos/Extremes171206.m4v
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