«… la clé de voûte devrait être l’incertitude, vue comme un principe d’ordonnancement des pratiques pédagogiques visant à donner des clés de compréhension et d’action pour mener une recherche d’information dans un environnement complexe.»1
Anne Cordier
Il y a quelques jours, j’écoutais les propos (à 6:00 sur la plage de lecture) du docteur Marc Zaffran2 MD, à l’émission Médium large, animée par Catherine Perrin. Il réfléchissait tout haut sur la responsabilité professionnelle d’un médecin (en lien avec la prescription de médicaments). Je n’ai pu m’empêcher de faire des liens avec le métier d’enseignant puis, avec les six chapeaux d’Edward de Bono .
Voici donc, en résumé, ce que j’ai retenu des propos du docteur Zaffran :
Il est impossible pour un médecin de tout connaître, d’être informé sur la totalité de la littérature médicale et de tout retenir de façon encyclopédique. À l’heure du Web, pourquoi ne pas profiter des connaissances acquises par le patient qui arrive souvent à son rendez-vous bien informé, bien préparé? Pourquoi ne pas ouvrir un dialogue avec lui pour faire la part des choses, pour séparer avec lui le vrai du faux? Pour réfléchir ensemble à un diagnostic puis à un traitement…
Pourquoi pas en effet?
Lors de cette entrevue, le docteur Zaffran n’hésitait pas à affirmer que le temps du «médecin qui sait» et du «patient qui se fie» est révolu. Il croit qu’il est temps d’entreprendre une médecine de dialogue où chacun fait profiter l’autre de ce qu’il a appris, de ce qu’il connaît.
Que se passerait-il si on remplaçait maintenant le mot médecin par le mot enseignant et le mot patient par le mot élève?
Sur le plan des connaissances, le système exige beaucoup de l’enseignant, c’est connu. Mais, toutes proportions gardées, il exige encore plus des élèves, qui très souvent sont soumis à l’écoute de «celui qui sait», tout cela au nom de la performance, au nom de l’accroissement des connaissances. Dans un univers en constante transformation, cette approche exclusive basée sur la transmission de connaissances présente certains dangers car le savoir de «celui qui sait» est parfois dépassé ou il est sur le point de l’être. Un enseignement transmissif repose aussi sur la présomption qu’un élève attentif et sérieux va tout saisir en entendant puis en reproduisant. À une époque où les apprenants sont de plus en plus intéressés à consulter, créer, remixer et partager3, la simple écoute risque de leur sembler peu stimulante et elle risque de les mener tôt ou tard au désengagement, puis au décrochage.
Que se passerait-il si chacune des personnes présentes dans la salle de classe était partie prenante, si chacun pouvait contribuer à sa façon, par sa propre expertise à la résolution d’une problématique, avançant ses propres connaissances, sa propre façon d’aborder des problèmes? À quels types de résultats pourrions-nous nous attendre si on favorisait une alliance élèves-enseignant où la rencontre des expertises constituerait une mosaïque de compétences?
C’est à la suite de ce questionnement que je me suis souvenu des six chapeaux de Bono.
Cette approche s’inspire de la Maïeutique de Socrate. Elle prône la mise à contribution de chacun des participants en adoptant un rôle précis, à différents moments de l’apprentissage, chacun des chapeaux étant complémentaire aux cinq autres, chacun ayant une valeur unique dans un processus de découverte et d’analyse.
Le chapeau blanc – La neutralité
Le penseur énonce des faits purement et simplement. Il est responsable des statistiques et de trouver des sources d’informations fiables. Il incarne le rationnel à l’état pur et dur. Le chapeau rouge – La critique émotionnelle Le penseur fait part de ses informations teintées d’émotions, de sentiments, d’intuitions et de pressentiments. Il n’a pas à se justifier. Il représente l’instant présent, le feu, la passion et l’intuition. Le chapeau noir – La critique négative Le penseur fait des objections en soulignant les dangers et risques qui attendent la concrétisation de l’idée. Il se fait l’avocat du diable mais il incarne également la prudence. Le chapeau jaune – La critique positive Le penseur fait part de ses rêves et de ses idées les plus folles. Ses commentaires sont constructifs et tentent de mettre en action les idées suggérées par les autres membres du groupe. Le chapeau vert – La créativité Le penseur cherche à provoquer, il recherche des solutions de rechange. Il s’inspire de la pensée latérale, d’une façon différente de considérer un problème. Il sort des sentiers battus et propose des idées neuves. Le chapeau bleu – L’organisation C’est le meneur de jeu, l’animateur de la réunion qui canalise les idées et les échanges avec les autres. Adaptation de Méthode des six chapeaux dans Wikipedia
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En classe, il est sans doute préférable de permettre aux élèves de porter le chapeau qui leur convient, celui avec lequel ils s’identifient le mieux. Leur demander d’essayer tous les chapeaux à tour de rôle, tel que le proposait De Bono, pour stimuler leur créativité, pourrait à mon avis être moins rentable en contexte de recherche et de traitement de l’information. C’est pourquoi je crois qu’il pourrait être intéressant et profitable de laisser les élèves identifier eux-mêmes leur chapeau dominant (et expérimenter avec d’autres chapeaux qui pourraient aussi leur convenir). L’enseignant devrait connaître et aussi reconnaître la couleur dominante du chapeau de chacun de ses élèves.
Une fois cette étape franchie, il y a, je crois, deux pistes qui auraient un potentiel pédagogique intéressant dans un cadre de recherche et de traitement de l’information.
Première piste
Une tâche est proposée et des équipes constituées par un ensemble de participants portant la même couleur de chapeau sont constituées pour la réaliser. Par la suite, en grand groupe, le travail de chaque équipe pourrait être décortiqué afin d’en faire ressortir les points forts et surtout ses limites.
Deuxième piste
De nouvelles équipes sont constituées mais cette fois, ce sont des équipes de six élèves «multi-couleurs». Une tâche similaire à la première est donnée et, une fois le travail accompli, une analyse est faite afin de comprendre les effets de la complémentarité.
Dans les deux cas, on n’évolue plus dans une culture de la réponse toute faite donnée par la personne qui SAIT et où les autres subissent LA réponse. On évolue dans un espace pédagogique de nature systémique où l’expertise et l’engagement de chacun sont importants pour résoudre puis comprendre une situation complexe. Cet espace risque à mon sens d’être beaucoup plus intéressant puisqu’il définit un lieu d’apprentissage approprié au XXIe siècle. De plus, cette façon de faire permet d’apprendre à gérer l’incertitude et le doute qui sont deux aptitudes essentielles dans un univers en évolution constante.
Les connaissances sont co-construites, l’angoisse de ne pas savoir est remplacée par la prise d’initiatives puis, progressivement, par la confiance en soi, envers ses pairs et envers l’enseignant. On parvient ainsi à la circulation des savoirs et à l’activation des expertises plutôt qu’à leur transmission unilatérale sur une base hiérarchique.
Cette posture me paraît tout à fait indiquée pour développer la compétence informationnelle, voire même une culture complète de la littératie car cette dernière vise précisément à ce que les élèves parviennent à une réflexion sur les processus de traitement, de diffusion et de circulation des informations de tous types.
Le focus est dorénavant placé sur la façon de traiter les contenus pour mieux les cerner. Il est devenu nécessaire d’apprendre aux élèves à douter et à remettre en question l’information qui leur est offerte pour collectivement trouver des réponses satisfaisantes.
Si la médecine est rendue là, pourquoi ne pourrait-on pas y parvenir dans le domaine de la pédagogie?
3 réponses à Le mot compétence… en technicolor