La liberté d’expression au temps des polémistes

Remarquez que, dans toute polémique,
une bonne moitié de la divergence des opinions provient de malentendus.
Émile Zola

Lorsqu’il s’agit de débats publics, tout est question de contexte et de perceptions. Il est rare que les faits soient pris en considération et que les propos restent objectifs.

Le contexte — lorsque l’adversaire devient l’ennemi*

Depuis quelques années, surtout avec la venue des médias sociaux, il semble que les débats tournent plus souvent autour de polémiques que d’analyses réfléchies, d’arguments et de contre arguments basés sur des fondements solides. Ce sont les tripes au lieu du cerveau qui guident nos propos. Nous utilisons alors les mots non pas pour convaincre judicieusement, mais pour faire passer notre idée à tout prix en ayant recours à des formules incendiaires, en prenant soin de ridiculiser autrui. Ainsi, on vise à réduire les idées de l’autre afin de faire valoir son point de vue. Les médias utilisent malheureusement de plus en plus cette formule (tirage et cotes d’écoute obligent) et les politiciens semblent l’avoir adopté sans songer aux conséquences et aux dérives.

Nous vivons dans un univers où trop souvent des gens bien pensants décident de déchirer leur chemise sur la place publique au lieu de chercher à connaître et à reconnaître les causes d’un malaise. Les idées s’expriment de façon binaire. Finies les nuances, finis le respect de l’opinion de l’autre. C’est devenu acceptable de ridiculiser l’adversaire. Ce ne sont même plus les idées de ce dernier qui sont contestées, c’est carrément la personne qui les a émises qui est immolée à coup d’insultes.

La première fois où j’ai entendu parler de SLĀV, ce fut en lisant un article de Josée Lapointe dans le cahier des arts de La Presse en novembre dernier. Ma première réaction a été en fonction du talent qui serait déployé pour mettre en évidence ce long bout d’histoire peu glorieuse dans le développement des civilisations. De prime abord, j’y voyais l’hommage d’un metteur en scène de talent international et d’une chanteuse douée pour évoquer la grande résilience des opprimés. J’avais hâte d’en savoir plus.

Puis, dès le début du Festival international de Jazz de Montréal, il y a eu la controverse. Des représentants de la communauté noire ont exprimé un inconfort face à la distribution. Ce malaise allait mener à une manifestation organisée pour inciter au boycottage du spectacle. Puis, assez rapidement, une dénonciation de l’atteinte à la liberté d’expression artistique s’en est suivie. C’est alors que tout est devenu noir ou blanc (oui, le jeu de mots est volontaire ici).

Argumentaire vs polémique

L’argumentaire noir

La sous-représentation de la communauté noire est inacceptable1.

L’argumentaire blanc

La liberté d’expression dans le domaine des arts est absolue2.

Le bruit polémique sur les médias sociaux

D’une part, l’accent porte sur le terme appropriation culturelle et,
d’autre part l’outrance est liée à la censure.
C’est à ce moment que les dérives argumentaires et les sophismes
ont commencé à pleuvoir sur Facebook et sur Twitter.

Les dérives liées à la polémique

Les exigences démesurées d’une certaine gauche multiculturaliste dite extrême, l’indignation réactionnaire de la droite extrême, la lâcheté du FIJM qui a cédé au «chantage», les communautés visibles qui passent leur temps
à se plaindre et à jouer les victimes. J’ai même vu passer sur Facebook des commentaires complètement à côté de la plaque : un pro liberté d’expression qui avance que, à l’origine le mot slave n’appartenait pas uniquement à la communauté noire; pour une candidate aux élections provinciales d’octobre, la réelle appropriation culturelle c’est l’adversaire politique qui s’est approprié (l’idée d’indépendance) de son parti; pour un de mes contacts Facebook ce sont les noirs qui se sont appropriés la langue qu’ils utilisent (un commentaire sérieux ou blague douteuse ?) et tutti quanti.

Rendus à ce point, les propos ont perdu toute trace de rationalité. Ceux qui les expriment se contentent de faire honte à ceux qui sont perçus comme les ennemis du bien commun. Alors que la situation est complexe, les propos sont devenus simplistes.

Pourquoi débattre avec un adversaire alors qu’il est plus facile de l’humilier ? Faut-il conclure que personne n’écoute le point de vue de l’autre, que tout le monde cherche l’argument massue qui va prouver que dans ce procès public c’est soi qui a raison. Rien de mieux que de briller par son arrogance non ? Comme le dit si bien Marie Demers, une auteure de talent et amie Facebook : «La maladie du siècle (de tous les siècles) : l’ego, l’orgueil. L’esti de bockage.»

Il est bien triste de constater que les médias sociaux, au lieu d’être des espaces de débats citoyens, sont devenus nos piloris modernes.

___________
*Polémique du grec ancien polemikos, qui signifie relatif à la guerre
1 Le devoir de débattre autour de «SLĀV»,Marie-Andrée Chouinard, 8 juillet 2018
https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/531840/slav-devoir-de-debattre
1 The problem with SLĀV: Why black people aren’t applauding a tribute to slave song
http://www.cbc.ca/news/canada/montreal/the-problem-with-sl-v-1.4727432
2 Annulation de SLĀV : Robert Lepage dénonce « l’affligeant discours d’intolérance »
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1111157/culture-slav-robert-lepage-reaction
Jouer dans «SLĀV» était une responsabilité, dit une actrice
https://www.ledevoir.com/culture/531761/slav-une-des-comediennes-noires-defend-sa-place

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